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Photo du rédacteurSébastien Saffon

S2 - Chapitre 11 - Louise et la bicyclette d'autrefois

Au départ des gendarmes, Hélène s'était enfuie vers le bois qui jouxtait la métairie. Les larmes roulaient sur ses joues. Comme d'habitude, depuis que les Bourrel étaient à la Borde Perdue et qu'elle avait du chagrin, elle avait eu, comme un instinct, le réflexe de se réfugier parmi les arbres. Comme s'ils comprenaient ses inquiétudes, comme si leurs branchages sombres allaient l'envelopper pour la consoler.


Mais cette fois, elle n'était pas seule. Lorsqu'elle courut avec l'intention de s'enfoncer au plus profond du bois, Marcel était à sa suite. Il avait beau l'appeler de temps à autre, elle semblait ne pas l'entendre envahie par ses pleurs.


Les branches lui frôlaient le visage, l'égratignaient parfois. Enfin, il parvint à la rejoindre.


— Hélène ! Mais enfin vas-tu me dire ce qu'il se passe ?


Mais les sanglots de la jeune fille étaient trop forts pour lui autoriser une quelconque parole. Elle s'était appuyée contre un chêne, la tête dans ses mains.


— Hélène ! Hélène ! Il n'existe pas de problème sans solution, j'en suis la preuve vivante. Je me suis sorti de tout.


Les larmes de la jeune fille se tarirent un peu à cette assertion. Ses vingt ans à peine froissés, le jeune homme parlait déjà comme un vieux sage. Le décalage était surprenant et il rendit même un peu de son sourire à Hélène.


— Tu ne peux pas comprendre.. Enfin pas tout... Notre famille avait un contrat chez Belloc à Penens, des décennies durant. L'année dernière, nous en sommes partis, un peu précipitamment. Cet homme est d'une cruauté sans nom. Il a fait beaucoup souffrir. les miens.. Et surtout ma tante Louise.. qui ne veut pas en parler mais je sais qu'il s'est passé quelque chose que l'on ne veut pas me raconter...

— Mais, dit simplement, Marcel, vous en êtes partis...

— Il y a eu des incendies dans deux de ses bordes dont celle que nous habitions. Et comme il nous déteste, il dirige les soupçons des gendarmes vers nous, ses anciens métayers... et... et son emprise sur nous recommence finalement...


Il s'était approché d'elle. Il l'attira vers lui et la prit dans ses bras pour la réconforter. Hélène en fut troublée. Autant qu'il l'était.


— Ce qui me paraît le plus difficile, reprit-elle en bredouillant un peu, c'est que ma tante Louise n'est plus là pour nous aider. Dès que nous avions un problème, c'est vers elle que nous nous tournions. Voir mes grands-parents malmenés de la sorte est difficile et elle n'est... pas là... elle saurait quoi faire. Elle est comme une mère pour Gaby et moi...


Elle enfouit son visage dans son épaule. Il s'écoula une minute, peut-être deux, avant qu'elle ne s'apaisât et lorsqu'elle releva enfin son visage, naturellement, ils s'embrassèrent, là, seuls au monde au fond du bois de la Borde Perdue.



Prévenir Louise... Ce fut aussi le réflexe de Gabriel lorsqu'il apprit la visite des gendarmes et la menace brandie par Belloc. Il fallait qu'il en parle à Louise, son avis comptait plus que tous les autres et elle trouverait sans doute les mots pour les rassurer. Aussi, le lendemain matin, Gabriel partit à Florac un peu avant l'heure de l'entrée des classes. Il savait que près de l'école, il rencontrerait forcément Louise qui accompagnait Miette et Virgile tous les matins.


Il l'attendit sur le bord du chemin qui ressortait de Florac après qu'elle eût déposé les enfants. Elle fut surprise de le rencontrer là. Avec une précipitation un peu enfantine et débordé par une logorrhée due à son énervement, il raconta les derniers événements et les craintes que sa soeur et lui développaient.


— Déjà que c'est pas drôle tous les jours à la borde, dit-il en levant les yeux vers la visière de sa casquette. On n'a pas besoin de problèmes supplémentaires...


Louise se trouva bouleversée du désarroi. de son neveu.


— Nous sommes en plein dans les maïs, Gabriel mais...

— Nous, on n'a même pas commencé, c'est une catastrophe...

— Mais je vais essayer de venir vous rendre visite, dès que je le pourrai. D'accord ? Il faut que je voie cela avec Angelin enfin mon patron...

— Merci tantine... Hélène en sera ravie...

— Et pas toi ? lui demanda-t-elle pour le taquiner.


Il se contenta d'un regard appuyé qui valait toutes les réponses.

* * *

Au même moment, à la Borde Perdue, Solange et Germain avaient de sérieuses explications. La jeune femme se trouvait quelque peu perturbée par les derniers événements et avait souhaité s'en ouvrir à son mari.


— Te rends-tu compte Germain ? Les gendarmes ! Ils sont venus et ont promis de revenir aujourd'hui même en fin de journée...

— Je sais, Solange. crois-moi, ces interrogatoires ne sont agréables pour personne. Mais je pense que c'est la procédure qui l'exige... Surtout que Belloc nous veut du mal alors il n'a de cesse de diriger les soupçons vers notre famille...

— Les soupçons.. les soupçons... Mais tout cela va finir pas se savoir. Et que vont dire les gens au dehors ?

— Mais aucun d'entre nous ici n'a rien fait...

— Et que va dire mon père ? Lui qui est tellement attaché à la réputation de son atelier ?

— Aucun d'entre nous ici n'a rien fait, Solange...

— Toi tu me dis ça, Germain. Mais qu'est-ce qui me le prouve ?


La question le cingla comme s'il avait pris une gifle en plein visage. Germain se figea.


— Solange, tu déraisonnes. J'espère que tu ne crois pas que...

— Je n'en sais rien, Germain. je ne sais plus que croire. Je suis ici toute la journée depuis que nous nous sommes mariés coincée entre ma grossesse et l'hostilité de ton père...

— Je sais que la vie d famille demande quelques efforts mais... c'est un brave homme au fond... avec du tempérament mais un brave homme. Il te faut apprendre à le connaître mieux.

— Et quand le mien de père va apprendre que vous êtes au centre des soupçons de cette affaire d'incendie, je ne sais pas comment il va réagir... de nous savoir ici, Henri et moi, au milieu d'une famille à la réputation si abîmée...

— Notre honneur est blessé et la rumeur nous a souvent fait du tort...

— Votre honneur et le nôtre par la même occasion... Germain, comment oserai-je encore sortir si les soupçons se font plus lourds ? Que vont dire les gens ?

— Nous, les Bourrel, avons toujours fait avec. Les gens disaient dans notre dos : "Tiens voilà les Bourrel... ils ont la maffre", "Tiens voilà Germain, le pauvre, sa femme est morte en couches", "Tu as su que le grand-père des Bourrel s'est jeté dans la mare ?" ou encore "Tiens, regarde ce pauvre Germain il a épousé la fille des voisins qui sont morts dans le chute d'un hangar"... VoIlà ce qu' a été notre vie avec le regard des autres et la rumeur... On a fait avec et on en est pas morts Solange ! Chez les Bourrel, on a notre conscience et à ce jour, elle est intacte ! Notre amour propre lui est abîmé mais de cela, les gens n'ont que faire !


Sa voix était montée d'un ton au fur et à mesure qu'il s'était agacé. Solange n'avait jamais vu Germain autrement que doux. Elle s'en émut et en eut la parole coupée.

Il se radoucit et reprit :


— Solange, je sais bien que toi-aussi tu as eu des épreuves, que la vie ne t'a pas épargnée. Mais raison de plus pour que nous essayions de construire la suite de notre vie avec des projets... Je ne t'ai pas promis le palais que je n'ai pas mais que nous puissions être heureux, j'y crois toujours. Encore plus qu'avant...

— Tu travailles tellement...

— Je n'ai pas d'autre choix... Nous sommes même en retard cette année.

— Et puis, j'ai tout le temps peur...

— Pour quelle raison ?

— Ce fichu tracteur... IL a privé Henri de son père, je ne voudrais pas que l'enfant à venir subisse le même drame.


Ce fut à son tour d'être touché.


— Solange, je t'ai promis la plus grande prudence et je t'assure que je fais attention à chaque minute et chaque seconde...


Il lui prit la main. Elle résista un peu puis la lui abandonna.


— Je ne pensais pas que ce serait si difficile, murmura-t-elle, la tête baissée.


* * *

A Montplaisir, Edmond et Anselme avait entrepris de descendre une antiquaille abandonnée dans la soupente du hangar. La vieille bicyclette était une relique héritée d'un temps révolu.


— On va essayer de la retaper mais faudra pas s'attendre à des miracles, dit Anselme en tordant la bouche après l'avoir examinée de près.

— Prenez en soin surtout, dit Angelin, elle me vient de Jeanne.


Louise s'interposa à nouveau :


— Non mais vraiment Angelin, je peux marcher à pied. ça me gêne. Vous tenez à cette bicyclette.

— Louise, Louise, ma chère Louise... Oui je tiens à cette bicyclette qui était celle de ma femme mais qu'elle tenait elle-même de ses parents mais je tiens aussi à ce que vous ayez un minimum de confort ici et si elle peut vous permettre de vous déplacer plus facilement et librement, je m'en réjouis. Réfléchissez : vaut-il mieux un vélo abandonné à la rouille, aux rats et aux mites du hangar, qui se disloque année après année ou ce même vélo un peu retapé et rustiné qui vous permet de fendre l'autan lauragais dès que vous le souhaitez ?


Elle ne répondit pas et rougit.


— Louise, reprit-il d'une voix douce. Vous avez fait merveille depuis que vous êtes ici. Mais je vois aussi ces derniers temps sourdre chez vous cette inquiétude pour les vôtres, là-bas à la Borde Perdue. Prenez donc un peu de temps pour leur rendre visite... Nous ne tarderons pas à terminer les maïs. Avec cette bicyclette, en un quart d'heure, vingt minutes tout au plus, vous y serez.

— Vous êtes trop bon avec moi, Angelin...

— C'est parce que vous êtes une fée Louise, et il faut prendre soin des bonnes fées, sourit-il. Demain, si ces bons à rien ont réussi à rafistoler cette vieillerie, vous irez voir les Bourrel.


Edmond et Anselme maugréèrent pour la forme à la plaisanterie de leur patron mais se mirent à l'ouvrage. Ils n'aimaient rien tant que faire plaisir à la jeune femme. Une visite à la Borde Perdue ? Louise s'en réjouissait presqu'autant qu'elle la redoutait...


A suivre...


Rendez-vous la semaine prochaine pour le douzième épisode de cette saison 2, intitulé "Dépouiller le maïs à la veillée "


Retrouvez l'ensemble des épisodes parus dans l'onglet "Blog" du site : https://www.bordeperdue.fr/blog


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