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Photo du rédacteurSébastien Saffon

S2 - Chapitre 37 - Des destins lauragais

L'hiver rendait la vie à Florac encore plus monotone et paisible qu'à l'ordinaire. Même Yvon Auriol, le maire se trouvait presque désoeuvré et ne trouvait plus aucun sujet pour se mettre en colère, son état émotionnel favori tant il était sûr que cela asseyait son autorité auprès de ses concitoyens. Il n'en tirait de que rires entendus et quolibets dans son dos mais les Floracais donnaient le change lorsqu'ils le croisaient, le laissant penser que ses coups de becs autoritaires faisaient encore grande impression. C'était un spectacle délicieusement outrancier dont certains se délectaient en exagérant l'obséquiosité de leur déférence.


En février, la terrasse du café Baptiste n'était guère investie. On lui préférait les tables derrière la vitrine, au plus près de la rue pour ne pas rater un événement qui aurait pu survenir et rompre enfin la monotonie ambiante. Aussi, à tour de rôle et assez fréquemment, Antoinette et Jeannot Albouy, les propriétaires essuyaient-ils d'un torchon la moindre trace de doigt pour libérer au mieux le champ de vision.


Dans ce qui tenait le haut du pavé des conversations entre les fidèles comme Monsieur Amédée de Borde Blanche, Aristide ou Louis Meunier, la maison Bourrel, ceux de la Borde Perdue comme on disait, était bien placée.


Les incendies, bien-sûr, faute d'avoir été relancés s'éteignaient peu à peu dans les échanges, en l'absence de nouvelles informations à ce sujet, l'intérêt se tarissait. Même s'il s'en trouvait toujours un pour souffler sur les braises.


- Moi, ces gens, je les trouve bizarres et je me dis que, surtout en matière d'incendie, il n'y a pas de fumée sans feu, répétait régulièrement à qui voulait l'entendre Paulin Lemestre d'un air entendu.


A travers la vitre, une fin d'après-midi, ils aperçurent Louise qui débouchait au coin de la placette et allait vers l'école.


— Et revoilà l'employée de Montplaisir. Elle vient à peine de ramener les enfants à la maison après les avoir récupérés à la grille de l'école qu'elle retourne déjà voir monsieur l'estituteur !


— Peut-être qu'elle veut se perfectionner en lecture ? persiffla Louis.


— La fois où elle nous a enguirlandés quand les jeunes s'en étaient pris à Léonce, j'ai remarqué qu’elle avait beaucoup de vocabulaire cette petite et qu'elle n'était pas en peine pour s'exprimer alors à mon avis, elle lit mieux que toi ! lui rétorqua Aristide.


— Eh be alors, c'est peut-être bien pour des réviser les tables de multiplication qu'elle va si souvent voir Monsieur Paul...


Et on s'esclaffa à la cantonade.


Louise avait baissé la garde. Elle se doutait bien que sa proximité avec l'enseignant faisait les gorges chaudes mais elle avait décidé de laisser cela à distance au moment où leur relation prenait un tour plus tendre. Ce n'étaient pour l'heure, que des mots, des signes appuyés mais ils traduisaient à leur façon des sentiments réciproques que Louise aurait apprécié si 'l’inquiétude pour Hélène qui la taraudait chaque heure et chaque jour n'avait pas été si présente. Mais Paul était d'un soutien sans faille.


Et puis, au café, il y avait également la rumeur qui enflait et se boursouflait, devenant de plus en plus instante. La fille Bourrel avait fugué disait-on avec un brassier de passage.


— Tu n'es pas au courant toi que tu es en cheville avec eux ? demanda-t-on un jour à Etienne Pech le forgeron qui venait acheter son journal.

— Je ne suis pas "en cheville" comme tu dis, ma fille Solange a épousé Germain Bourrel qui est un brave type. Tiens toi pour dit que, moi les affaires des autres y compris quand les autres me sont proches, je ne m'en mêle pas ! Et puis surtout moi, le secrets, je me les garde. D'ailleurs, si tu avais la moindre idée de tout ce que je sais parce qu'on me le confie à l'atelier, tu en serais rouge d'envie.


Sur ces paroles, il jeta bruyamment la monnaie sur le comptoir avant de ressortir, son journal sous le bras, en lançant :


— Bonsoir la compagnie !





Hélène et Marcel étaient chez Baptistine et Augustin Cami depuis presque une semaine.

Hélène passait le plus clair de son temps avec la vieille femme qui lui délivrait, jour après jour, ses savoirs sur les plantes et leurs bienfaits, leurs combinaisons salvatrices, les mélanges à éviter sous peine d'empoisonnement. Elle lui avait même transmis le secret pour arrêter le feu, celui des zonas, celui des brûlures.

— Mais Baptistine, tu dis que ce secret va s'éteindre peu à peu chez toi si tu me le révèles ? s'inquiéta la jeune fille.


Ces mots avaient fait sourire Baptistine.


— Ne t'inquiète pas, pichona, mon chemin de vie, je l'ai parcouru. Aujourd'hui j'ai accompli plus de choses qu'il ne m'en reste à faire. Et je sais que si le destin t'a menée jusqu'à moi, c'est qu'il avait une raison. Je n'ai pas eu d'enfant, il fallait bien que quelqu'un reçoive ce que j'ai appris. —  Tu me connais à peine.

— Et pourtant je sais que nous sommes en résonance. J'ai pensé tant de fois transmettre mes secrets sans le faire. Sans trouver la bonne personne. Avec toi, petite, cela devient une évidence. Je sais que tu les utiliseras pour faire le bien autour de toi. Je ne te ferai même pas promettre de ne pas les laisser s'endormir et de les utiliser car tu le feras j'en suis sûre.

— Je te promets Baptistine de...

— Chut, dit la vieille dame en souriant en posant un doigt sur les lèvres d'Hélène.


Dans les jours qui suivirent, Baptistine forma Hélène auprès des visiteurs qui venaient recevoir ses bons soins. Leur conseiller une infusion plutôt qu'une autre. Pour les bronches. Les rhumes. Les maux de saison. Les écouter. Pour les douleurs de l'âme, celles pour lesquelles il n'existait pas de tisane calmante, que des décoctions de mots savamment distillés. Hélène avait du goût pour cela et même une certaine facilité. Elle développait rapidement son intuition, une bonne analyse des situations, une prise d'indices qui émerveillaient Baptistine et la confortaient dans son choix. Elle s'essaya même à calmer la brûlure causée sur une main par le fer travaillé dans une forge. Le blessé n'en revint pas de la rapidité d'efficacité.


— Quand tu repartiras d'ici, tu seras différente, lui dit la vieille femme.

— Quand je repartirai d'ici, je serai tellement riche que même toute ma reconnaissance éternelle ne pourra jamais te remercier à la hauteur de ce que je te devrai, Baptistine.

— Moi aussi, tu sais, je suis partie de chez moi, très tôt alors que je ne le souhaitais pas vraiment...


Hélène fut estomaquée..


— Comment peux-tu savoir cela ? Je ne t'ai jamais parlé de moi ?

— Ne te pose pas trop de questions qui t'encombreraient inutilement et dont les réponses ne te serviraient à rien.

— Je suis partie de chez moi...

— Pour suivre Marcel, c'est-ce pas ?

— Oui...


Elles s'étaient assise face à face de chaque côté de la lourde table de bois près de la cheminée. Baptistine lui prit les mains.


— Moi aussi, tu vois, je suis partie de chez moi quand j'étais bien jeune. Et il faut que je te dise, il y en a eu des tempêtes depuis, des jours ensoleillés, de l'eau a coulé sous les ponts et pourtant... c'est une douleur qui ne s'éteint pas, celle d'avoir un jour coupé les liens avec les miens.

— C'était par amour pour Augustin ?

— La seule différence entre nous, c'est que tu es partie de ton plein gré alors que moi... on m'a chassée.

— Pourquoi ?

— Parce qu'Augustin n'était pas celui que mon père m'avait choisi et qu'il n'acceptait pas nos sentiments.

— C'est terrible...

— Et je ne l'ai jamais regretté, Augustin a été un mari idéal, attentif. C'est un homme bon. Mais la blessure de ne jamais avoir revu les miens ne s'est jamais refermée.

— Jamais... ou presque. J'ai croisé mes parents deux ou trois fois par hasard à Revel. A chaque fois le visage de ma mère s'est éclairé, à chaque fois je me suis approchée d'eux, à chaque fois mon père s'est détourné et l'a entraînée pour changer de direction. J'étais devenue pour lui une inconnue... Il ne m'a jamais pardonné ce choix.

— Ma pauvre Baptistine...


Elles restèrent un long moment en silence se donnant les mains par dessus la table, ne fixant que leurs doigts noués.


— Je ne sais pas d'où tu viens ni qui tu es, petite Hélène... Ce que je veux te dire, c'est que, si pour toi il n'est peut-être pas trop tard, tu peux encore essayer de réparer les choses, de renouer les liens. Ces liens avec les tiens sont essentiels, t'en passer serait te priver d'une partie de toi.


Les yeux d'Hélène s'étaient embués, sa lèvre tremblait et sa voix se faisait sourde.


— Je suis partie sur un coup de tête, après que les miens ont eu une altercation avec Marcel que j'aimais en secret. Lorsqu'ils l'ont découvert par hasard... Enfin... Je n'ai pas supporté leur réaction... Ils me manquent tu as raison. J'ai écrit à ma tante Louise qui m'a élevée avec mon frère jumeau, je pensais lui réécrire.

— C'est pour cela que ta tristesse est si profonde qu'elle déborde de tes yeux ?

— Pas seulement...

— Que veux-tu dire ?

— Je remercie le Ciel aujourd'hui de t'avoir mise sur ma route ma chère, ma si chère Baptistine. Mais je suis en plein doute... La vie que j'imaginais avec Marcel n'était pas celle-là. Je la voyais plus facile, je l'imaginais plus tendre. Nous n'avons jamais été si proches et pourtant je crois que nous nous éloignons depuis que nous ne sommes que tous les deux sans les miens.

— Rien n'est définitif. Rien ne t'oblige. Il faut réfléchir ma petite Hélène, bien réfléchir... Prends le temps qu'il te faudra, tu es ici la bienvenue. Je suis si heureuse de t'avoir rencontrée...


A suivre...


Rendez-vous la semaine prochaine pour le trente huitième épisode de cette saison 2, intitulé "Le temps des décisions"


Retrouvez l'ensemble des épisodes parus dans l'onglet "Blog" du site : https://www.bordeperdue.fr/blog

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