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Photo du rédacteurSébastien Saffon

S2 - Chapitre 38 - Le temps des décisions

A la Borde Perdue, Gabriel n'était plus tout à fait lui-même. Il brûlait du feu intérieur que provoquait la colère. Ces dernières semaines avaient été difficiles : l'absence de sa soeur lui était insupportable, être la cause du conflit qui avait provoqué sa fuite encore davantage et l'avoir ratée d'aussi peu dans la petite maison dans les bois constituait une déception cuisante. Elle sonnait comme une gifle sur une joue.


Germain lui avait demandé mille fois depuis son retour où il s'était rendu aussi précipitamment avec sa tante Louise. Il avait refusé de répondre avec toute la fermeté dont il était capable. Il craignait de lui provoquer un chagrin trop difficile à surmonter. Mais ces non-dits généraient toutefois de nombreuses tensions au sein du clan.


— Je sais, fils, que ce que nous vivons est difficile, lui dit Germain. Mais je te vois sombrer dans un état inquiétant, jour après jour. Tu n'as pas la tête au travail, cela je peux le comprendre mais tu as une attitude étrange et par là, je veux dire inquiétante... il est de mon devoir de père de te...

— Papa...

— Gabriel, tu dois te ressaisir et ne pas courir après des chimères, encore une fois.

— Papa, je cherche Hélène ! Je cherche à comprendre !

— Je suis très affecté moi-aussi par le départ de ta soeur, Cela me rend fou de ne pas savoir où elle est ni même si elle va bien. Je n'en peux plus de rejouer dans ma tête le moment où je me suis emporté avec Marcel. puis envers elle. Mais nous devons... tenir... résister... La famille compte sur nous Gabriel... Pense à tes grands-parents, à ton arrière-grand-mère, à Solange et Henri même...

— Mais, papa, moi ? Qui pense à moi ici ? A part tante Louise qui est partie à Montplaisir ! s'écria-t-il. Qui ?


Puis il tourna les talons. Germain eut un mouvement pour le suivre, s'arrêta, regarda son fils s'éloigner, dépité de ne pouvoir le réconforter.




Comme Hélène et Baptistine, Augustin et Marcel échangeaient souvent eux-aussi. Le jeune homme avait proposé de débiter du bois qui attendait là, non loin de la maison et de le ranger dans la petite cabane attenante. Il avait déployé une énergie considérable sous le regard reconnaissant d'Augustin et l'affaire avait occupé pas moins de trois grosses après-midis.

Lorsqu'il s'arrêtait un peu pour souffler, ils reprenaient souvent la conversation où ils l'avaient laissée quelques minutes plus tôt.


— Tu as l'habileté et la dextérité d'un homme dans la force de l'âge, petit. Quel travail ! Il m'aurait fallu des semaines avec mes vieux bras et mes jambes qui me trahissent...

— J'ai beaucoup bourlingué, tu sais, Augustin. J'en ai fait des métairies, j'en ai eu des patrons... — Je le vois bien. Et tu en cherches un autre n'est-ce pas ?

— Oui... Mais la saison ne s'y prête pas... Et puis avec Hélène, maintenant, c'est difficile de trouver une place pour chacun, un toit pour deux, dans notre situation... Je ne sais me servir que de mes bras...

— C'est déjà beaucoup, c'est même indispensable...

— Je ne sais même pas écrire, à peine compter... Nous ne pouvons rester très longtemps nulle part.

— Vous êtes en fuite ?

— Je ne sais pas... Peut-être...

— Comment ça peut-être ?


Soudain, le jeune homme hésita. Peut-être se laissait-il aller à trop de confidences ? Mais la bonhommie de son interlocuteur, la bienveillance dont il avait fait preuve à son égard l’incitèrent à répondre à sa question.


— J'étais brassier à la borde où j'ai rencontré Hélène mais notre relation n'était pas du goût de sa famille. Quand il m'ont mis dehors, pour cette raison-là, Hélène m'a suivi. mais ce n'est pas tout...

— Ah ?

— Je n'ai pas fait que des jolies choses. Dans les deux bordes où j'étais avant, on me nourrissait à peine, on a refusé de me payer mon solde à mon départ en me traitant de fainéant, de paresseux ,de fug-l’òbra, de trucataulièr alors que j'ai travaillé pour eux de toutes mes forces. Je ne l'ai pas supporté. Je le leur ai fait payer au centuple.

— Tu m'inquiètes pichon.

— J'ai foutu le feu à leurs hangars puis à leurs cabanes, la nuit à plusieurs reprises. Je voulais qu'ils payent, je voulais les rendre fous. — Les incendies de Penens ? Ceux dont on a parlé dans La Dépêche ? C'est toi ?


Le silence que laissa s’installer Marcel à cet instant ne laissait aucun doute quant à la réponse. Il reprit au bout d'un moment :


— Aussi, je suis peut-être en fuite... Car il est possible à cette heure-ci que les gendarmes aient remonté la piste et me soupçonnent...

— Pourquoi as-tu recommencé plusieurs fois ?

— J'y ai pris goût quand j'ai vu le mal que ça leur faisait. Je me sentais fort. ils étaient à ma merci. Alors j'ai remis ça. Pour voir leur affolement, leurs cris, caché dans la nuit... Ils me soldaient mon compte de cette façon !

— Et cette petite te suit dans ces conditions ?

— Elle ne savait pas que c'était moi. Depuis qu'elle l'a appris, quelque chose a changé. Je ne sais pas, je ne sais plus où nous allons...

— Tu te rends compte dans quelle piège tu l'entraînes ? Tu fais presque d'elle ta complice ? Si tu l'aimes...

— Je ne regrette pas ces incendies. Il fallait qu'ils payent...

Augustin ne réagit pas, demeurant coi.


— Tu... tu veux qu'on s'en aille ? demanda alors Marcel, penaud, regrettant presque ses révélations.


Les mains sur les hanches, le vieil homme planta ses yeux bleus perçants dans les siens et s'approcha de lui.


* * *

— Nous touchions au but, j'en suis sûre... tout cela s'est joué à un jour près ou deux, peut-être quelques heures seulement !


Lorsque Louise raconta à Paul, l'instituteur, son épopée avec Gabriel suite à la lettre d'Hélène, elle ne put s'empêcher de faire état de son immense déception à la hauteur de ce fol espoir qui n'avait cessé de croître tout au long de la route.


— Notre intuition était juste, ils sont bien passés par cette petite maison. Ils y sont sans doute restés quelques temps : la cheminée avait été allumée, on avait remis un peu d'ordre -sommairement - dans la pièce, il y avait des restes de repas.. Il est rageant de constater qu'on est passé si près.

— Et maintenant ?

— Nous sommes un peu perdus. Où chercher ? Nous n'avons même pas eu le courage d'en parler à la famille. Ils auraient été tellement déçus.

—  Je comprends, Louise.

— Que faire de ça ? Ils étaient il y a quelques semaines près de Gardouch à deux doigts de s'embarquer sur une péniche pour gagner Sète, ils étaient ces jours-ci encore dans cette ferme près de Revel. Mais de cela, que pouvons-nous faire ? Où donc chercher ? Et puis, je manque de temps avec mon travail à Montplaisir, Miette et Virgile dont il faut s'occuper... C'est difficile pour moi d'aller à Revel....


Paul sentait le sentiment de détresse qui envahissait la jeune femme. Rarement, il l'avait perdre le contrôle d'elle-même.


— Louise ! Louise ! Calmez-vous ! Et voyez le bon côté des choses même si c'est difficile. Hélène vous a fait un signe. Vous lui manquez. Elle vous a écrit une fois, elle vous réécrira sûrement.

— Vous croyez ?

— On ne raye pas sa famille d'un trait de plume, Louise. On ne balaie pas d'un revers de main toute l'histoire de sa vie. Cette lettre est une formidable déclaration d'affection et d'attachement. Ayez confiance en l'avenir Louise. Hélène est jeune et fougueuse mais Hélène, si, comme je le crois, a intégré vos préceptes d'éducation, votre droiture morale, votre souci de son prochain, ne fera pas de bêtise. Elle est jeune mais ce n'est plus une enfant. Accordez-lui votre confiance pleine et entière. Laissez-lui un peu de temps, celui de la réflexion, celui de son expérience. Chaque chemin est un chemin propre, personnel.

— C'est difficile en pareilles circonstances...

— Souvenez-vous de ce que vous m'avez dit l'autre jour à votre sujet, Louise...

— Je ne sais pas... Je ne sais plus...

— Vous m'avez décrit la force qu'il vous a fallu pour quitter ceux de la Borde Perdue alors même que vous étiez persuadée d'avoir votre destin chevillé à eux pour le reste de votre vie. Vous avez fait votre expérience, Louise, vous avez fait vos choix en vous affirmant. Cela n'a pas été simple, il a fallu accepter de déplaire, de ne pas vous conformer à la pensée des autres, à vous mettre en opposition même. Laissez cette chance à Hélène, aujourd'hui. Ne la jugez pas et patientez... en confiance... Je sais que c'est difficile mais la jeune fille que vous m'avez dépeinte au fur et à mesure de nos rencontres est tout sauf une écervelée. Elle s'est affirmée et vous n'êtes pas en mesure, vous Louise, de le lui reprocher, il me semble...


La jeune femme s'était assise dans un fauteuil près de la fenêtre. Elle n'en demanda pas la permission et ce simple geste fit chaud au cœur de Paul. Il lut là une marque de liberté, de confiance grandissante... Les yeux dans le lointain, le visage impassible, les mots de l'instituteur semblaient résonner en elle.


— Vous avez sans doute raison, Paul. Comme toujours. Mais m'approprier cette idée va me demander un certain effort.


Elle lui sourit.


— Je pourrais également puisque nous en parlons vous demander un effort supplémentaire...

— Comment ça ? s'étonna-t-elle

— Un effort qui nécessiterait de prendre un nouveau virage dans votre destinée...


Elle se redressa sur le siège, se figea, n'osant comprendre.


— Mais cette fois, Louise, il y aurait quelqu'un à vos côtés pour vous aider à le négocier.


A suivre...


Rendez-vous la semaine prochaine pour le trente-neuvième épisode de cette saison 2, intitulé "Le chemin de l'ostal"


Retrouvez l'ensemble des épisodes parus dans l'onglet "Blog" du site : https://www.bordeperdue.fr/blog

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