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Photo du rédacteurSébastien Saffon

S2 - Chapitre 8 - Près des paillers

Sur les coteaux du Lauragais, octobre avait balayé les vendanges pour laisser progressivement la place aux labours. Peu à peu, dans les penchants, sur les reliefs doux, des sillons réguliers se dessinaient comme on remet de l'ordre dans une chevelure décoiffée avec un peigne en corne. Ici ou là, quelques tracteurs crachaient leurs fumées noires à l'assaut des champs pentus, partout ailleurs les boeufs sous leurs jougs tiraient araires.

Les ormeaux, les peupliers renonçaient peu à peu à leur parure verte. Les ocres des houppiers se confrontaient aux rouges, aux orangés tandis que le vent gourmand dispersait un peu partout, feuille après feuille, les souvenirs de l'été.

Le raisin était en cuve depuis quelques jours, partout dans les fermes, les bordes, on veillait sur lui comme sur un nouveau-né. Bientôt, il faudrait le couler. Les demi-muids et les barriques l'attendaient.

Sous les hangars, les trieurs s'apprêtaient à accueillir le blé pour interpréter leur chanson mécanique. Quelques-uns qui n'étaient pas en retard ou craignaient les pluies de novembre à venir avaient déjà mis l'avoine en terre. On les traitait de fadas... de fadorles...

Eux disaient qu'ils étaient prudents :


Val mai téner qu'esperar*


A Montplaisir, les deux gagés étaient aux prises avec une parie de boeufs qui se montraient extrêmement têtus. Cela donnait lieu à des scènes assez cocasses lorsqu'ils s'apercevaient que le sillon déviaient un peu ou que les bêtes refusaient soudain obstinément d'avancer. Edmond jetait alors sa casquette sur le sol et la piétinait rageusement.

Anselme préférait en rire :

— ça ne les fera pas avancer davantage tu sais ?

— Mais qu'est-ce. qu'elles ont ces bêtes aujourd'hui, bon sang de bois ?

Et si les bêtes se relançaient alors, Anselme rajoutaient :

— Tu vois, elles sont comme moi, elles n'aiment pas ta casquette ! Allez reprends ta place râleur !!


La convocation chez le maître donna lieu à une série d'explications. D'abord entre Louise et Angelin, la jeune femme exposa le motif. Virgile était devenu bagarreur et l'instituteur s'en inquiétait tant ce comportement n'est pas habituel.


— Je devrais être plus sévère avec lui, conclut d'abord Angelin.

— Non, je ne crois pas, se permit de lui conseiller Louise. Virgile est malheureux. Je crois que cela explique son attitude. Il faut mme rassurer.

— Tu es trop gentille, Louise. Je me demande s'il n'a pas plutôt besoin d'un bon savon... mais je n'ai pas trop le coeur à me fâcher.

— Il faut que vous lui parliez, Angelin. reposer les choses. Sans vous agacer. En lui expliquant tranquillement.

— C'est si difficile...

— Je. vous aiderai...


Ainsi fut fait. Un soir, Louise, Angelin et Virgile s'installèrent autour de la table pour discuter. Ils envoyèrent Miette jouer dans sa chambre, elle y constituait à contrecœur. Le petit garçon roula des yeux, souffla, tapa du pied, pleura même.


— Je ne veux pas qu'elle se prenne pour ma mère ! dit-il à l'adresse de Louise

— Ce ne sera pas le cas mais je serai là pour t'accompagner, reprisa-t-elle.


Ils palabrèrent un moment assez long pour que Miette s'impatientât. Virgile accepta de fournir quelques efforts pour contrôler davantage son comportement.


— Nous y veillerons, promit Angelin l'index levé.


A la fin de ces échanges, Miette, petite maman, vint le consoler avec beaucoup d'affection. Elle n'aimait pas voir son grand frère si triste.




A la Borde Perdue, le tracteur avait été rapidement réparé pour reprendre les labours. Pourtant ce matin-là, Germain ne travaillait pas. Pas dans les champs en tout cas.

Il avait d'abord attendu, un peu inquiet, le passage du docteur qu'on avait fait appeler pour Solange. Derrière ses lorgnons, après une auscultation, il déclara la future mère en pleine santé bien qu'elle se plaignît de fatigue récurrente.


L'altercation avec Léonce avait laissé des traces. Ces deux-là ne s'étaient pas reparlé et passaient pourtant leurs journées dans la même pièce depuis que Léonce était plâtré. l'atmosphère de froide était passée à glaciale. Ils se frôlaient sans se parler. Et leurs regards s'évitaient précautionneusement.

Léonce pour respirer s'était bien attelé, dans le hangar, à la confection de quelques balais en genêts. Ces outils grossiers permettaient de déblayer les sols des hangars. Quand. il en eut fait quatre à associer finement les branches sèches, il jugea que c'était suffisant. On ne se servait pas beaucoup de ces ustensiles et il 'était inutile d'en remplir les granges.


Après le passage rassurant du docteur, Germain ne repartit pas au champ. Il réconforta Solange :


— Tu vois, tout va bien il. ne faut plus t'inquiéter. Et prendre soin de toi. Ce bébé va bien et toi aussi.


Elle sourit tristement.

Puis Germain attendit sur le pas de la porte. Un petit moment. Il regardait au loin vers le bas du chemin qui restait vide de toute âme. Il s'en fut alors donner quelque soin aux bovins dans l'étable passant une tête de temps à autre. mais rien. Personne n'empruntait le chemin de la borde.

Il avait donné rendez-vous à un jeune homme rencontré par hasard chez les Mandoul. Il allait de ferme en ferme cherchait une place comme brassier pour quelques jours ou plus.. Face aux difficultés traversées depuis quelques temps, Germain s'était résolu à lui donner rendez-vous. Les travaux prenaient trop de retard et chaque jour qui passait voyait s'accumuler des difficultés supplémentaires.

Elia et lui avaient donc fait les calculs précis de ce q'il resterait à la fin de l'exercice et s'étaient résolu à contrecoeur à solliciter un gagé.


Le jeune homme arriva sur les coups de onze heures. Il frappa au battant de l'étable où il avait entendu du bruit. Deux petits coups secs de ses phalanges repliées.


— Je suis là ! dit-il simplement. Excusez-moi, j'ai eu du mal à trouver malgré vos explications.

— Marcel ! s'exclama Germain qui ne l'attendait plus .


Le jeune homme hirsute affichait un sourire aimable. La peau de son visage avait été tannée par le soleil de l'été et les travaux auxquels il avait participé mais malgré cela, elle trahissait une jeunesse insolente. cela se remarquait aussi à ses rirez cristallins qui ponctuait la conversation qui exprimaient tantôt gêne tantôt enthousiasme. Il était difficile de lui attribuer un âge mais sans doute sa vingtaine était-elle à peine froissée.


— Vous verrez, disait-il à Germain, je suis habile, dégourdi et pas fainéant.

— je l'espère, mon garçon. il y beaucoup d travail ici. Ce que je ne peux pas te dire c'est jusqu'à quand nous aurons besoin de toi si l'on fait affaire. Dans mon idée, ce sera le moins de temps possible. Un salaire et une bouche à nourrir supplémentaire n'étaient pas exactement prévus à notre programme. Mais parfois, on n'a guère le choix.

— Vous ne le regretterez pas... répétait-il avec. son enthousiasme juvénile.


Germain entreprit de faire visiter les locaux et lui présenta les tâches qui les attendaient dans les jours à venir.


— Enfin, jeu dois te dire que pour dormir il ne reste qu'une paillasse sur la fenial. Cela pourra-t-il te convenir ? Je n'ai pas mieux à te proposer.

— Cela me conviendra parfaitement.


Le jeune homme portait des vêtements élimés, troués aux articulations.


— As-tu des questions ? lui demande Germain

— Une seule... répondit-il gêné.

— Laquelle ?

— Je n'ai rien avalé depuis deux jours, à courir de ferme en ferme... Et...

— Viens à la cuisine, Marcel, nous allons bien trouver quelque chose...


L'arrivée du jeune homme à la Borde Perdue fut ainsi conclue. Marcel engloutissait les restes de la veille qu'on lui avait trouvé, la soupe du jour n'étant pas cuite. Le jeune homme tirait sur un coin de pain avec frénésie, mangeait à la vitesse de celui qui n'avait pas connu la satiété depuis longtemps.


Léonce qui regardait le jeune ogre, éberlué, s'exclama :


A una talent de nòu jorns aquel pichon !**


A cet instant le battant de la porte claqua contre le mur faisant sursauter tout le monde. Gabriel, échevelé et essoufflé, apparut dans l'encadrement,


— Ca a recommencé ! ça a recommencé !


L'état de panique qui l'avait saisi était contagieux et saisi d'effroi tous ceux qui étaient dans la pièce, exception faite du mangeur qui continua à dévorer à belles dents l'opportunité qui lui était offerte.


— Mais enfin Gabriel, qu'est-ce qui se passe ? tonna Elia qui détestait avoir des coups au coeur.

— Le feu, le feu ! Quelqu'un a foutu le feu...

— Où ? s'affola Germain.

— Chez Belloc. Quelqu'un a foutu le feu aux deux paillers de et toute la grange attenante y est passée.ça s'est passé hier...

— Eh bien, dit calmement Léonce, les problèmes ne sont pas loin...


A deux semaines d'intervalle, sur deux propriétés du même Belloc, il n'y avait plus guère de place pour l'hypothèse du hasard. Et les Bourrel savaient ce qui planaient au-dessus d'eux...


Mas ! dit Gabriel en désignant l'attablé. Qui es aquel ?***


A suivre...


* Il vaut mieux tenir qu'espérer

** Il a une faim de neuf jours ce petit !

*** Mais qui c'est celui-là ?


Rendez-vous la semaine prochaine pour le neuvième épisode de cette saison 2, intitulé "Les incendies "


Retrouvez l'ensemble des épisodes parus dans l'onglet "Blog" du site : https://www.bordeperdue.fr/blog


Merci à Berthe pour la photo d'illustration.


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