Un petit texte inspiré par l'été qui s'échappe. Les rêveries d'un paysan du Lauragais d'antan...
Ça ressemblait un peu à la mer. Il en était sur même si lui, la mer, il ne l'avait jamais vue. Mais les ondulations, les creux, les remous que le vent d’autan provoquait sur les feuilles dorées du maïs à l’automne avec cette brusquerie soudaine qui lui était propre, il en était certain, ça ressemblait à ce qu’on voyait lorsqu’on se plantait au bord de la plage.
D’ailleurs il l’avait vue en photo la mer, sur des cartes portales en noir et blanc ou sépia et même une ou deux fois sur des cartes postales colorisées. Bien sûr on l’avait mis en garde ces couleurs là n’avaient rien à voir avec celles de la réalité. Ces rouges trop vif, ces bleus trop profonds étaient l’œuvre d’un imprimeur maladroit ou d’un éditeur excessif. Ceux qui l'avaient vus en étaient sûrs.
Et puis les yeux n’étaient pas tout. Il y avait le nez et les oreilles. Les embruns, les odeurs du large, le cri des mouettes, le fracas des vagues, c’était pareil, tout cela on le lui avait dit. Avec de ces mots... des ces mots à vous faire tourner la tête… pareils sans doute aux couleurs des cartes, trop exagérés. Tout cela, il l’avait imaginé bien des fois mais de sa vie, ne l’avait jamais vu ni entendu. Seul le ruisseau près du champ dont l’onde tressautait contre les cailloux arrondis murmurait à son oreille.
Il aurait pu bien sûr aller se rendre compte par lui-même. La Méditerranée n’était pas bien loin. Il n’y avait qu’à décider de braver le vent d’autan une bonne fois pour toutes et là-bas, tout au bout du chemin, oui, là-bas elle y était, immanquable, avec son écume, ses pêcheurs, sa grève, ses marchés aux poissons sur les quais, ses bateaux, ses fragrances d’algues. On lui avait bien précisé que les algues, c’était particulier - et même très spécifique - comme odeur, surtout lorsqu’elles s’échouaient sur les plages. C’était un parfum végétal, une senteur mouillée un peu étrange loin de tout ce qu’il pouvait connaître dans ses champs. Et même dans ses parcelles après la pluie ! Les prêles, les orties, non, tout cela n’avait rien de comparable avec les algues.
Parfois il en éprouvait une espèce de nostalgie. Un sentiment qu’il trouvait étrange bien qu’un peu usurpé. Comment être nostalgique de ce qu’on n’a pas connu ? se demandait-il en se houspillant intérieurement entre deux coups de houe donnés. Ces jérémiades intérieures prenaient trop de place dans son esprit et, en outre, ses tergiversations le retardaient dans son travail.
Toute sa vie, il avait bien pensé qu’il aurait l’occasion, mais un peu plus tard, de les voir les voiliers, les cargos, les bancs de poissons.
Mais, maintenant, c’était déjà le soir, ses cheveux étaient blancs comme l’écume sur les vagues, et il était toujours dans ses champs de maïs progressant désormais avec peine tant son dos, meurtri par tellement de journées et d’années passées, voûté en plein soleil à se débarrasser des mauvaises algues… des mauvaises herbes le faisait souffrir. Car lui-aussi était un pêcheur, un pêcheur d’épis dorés, son phare à lui était le clocher du hameau - et son ombre que le soleil étirait différemment selon les heures ou les saisons - et qui réunissait au son de la cloche, de temps à autre, d’autres... pécheurs.
Un peu de temps encore avant l’angélus… alors il plongeait à nouveau avec ses outils entre les rangées à caresser et gratter la terre tout près des jambes vertes comme d’autres, par les fonds, exploraient, lui avait-on raconté, les massifs de corail carmin.
Mais lui, la vie l’avait vissé là. Dans ses champs lauragais. Et depuis toujours, il avait labouré, semé, entretenu, cueilli, stocké puis utilisé le produit de son travail. Sans jamais en partir. Le travail de la terre avant tout. Pas celui de la mer à laquelle il rêvait.
Mais souvent, contemplateur, il mesurait sa chance d’avoir pu observer sans s’en lasser la lumière rasante de l’automne qui rebondissait sur l’ocre des bois et des champs. Cet ocre pour lui, c’était tout l’or du monde. L’or de son monde. Comme le brun de l’hiver ou les verts tendres et vifs, pleins de cette énergie nouvelle véhiculée par le printemps. Quelle chance il avait !
Les pêcheurs des bords de mer, ceux qui cabotaient près des côtes comme ceux qui tutoyaient l’horizon - cette ligne ou la mer et le ciel se confondent et qu'il ne parvenait pas à s'imaginer - ces pêcheurs ne connaissaient que le bleu de la mer ou le blond des plages et ils n’en seraient pas revenus eux non plus, il en était persuadé, s'ils avaient découvert les couleur de son univers.
Il aurait pu leur servir de guide s'ils avaient accosté en Lauragais, il connaissait chaque bois, chaque friche, tous les sentiers et les fossés jusqu’à la moindre pierre et la plus petite anfractuosité de la roche des reliefs en cuesta .
Nourrissait-il des regrets parfois ? Non. Pas le moindre.
Juste une inquiétude. Si l'occasion lui avait été donnée découvrir la mer, n'aurait-elle pas été plus décevante que sa mer rêvée, les pieds dans l'argile lauragaise ?
Non, la mer était sûrement encore plus belle, plus immense, plus bruyante que celle de ses songes. Alors, souvent, pour chasser cette idée, il inspirait - fort, très fort - et se remettait au travail.
Mais quand le vent d'autan agitait à nouveau les feuilles qui ondoyaient du bord du champ jusqu'aux collines, il sursautait car parfois, au loin, il croyait apercevoir un navire.
Nous nous retrouverons le samedi 16 septembre au marché de plain air de Port-Lauragais (voir site) de 10 à 17h. Le 25 octobre, parution du roman "Le silence de la Combe" aux Editions du 38
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